Laetitia Robillard a réussi le rêve d’un certain nombre de français en émigrant au Québec, où elle est Coordonnatrice de la transition organisationnelle à l’Institut de Cardiologie de Montréal. Elle nous parle du projet de modernisation architecturale « Investir dans l’Excellence » et de la manière dont les hôpitaux québécois accompagnent la transformation quand ils lancent des opérations immobilières.
Concrètement, comment accompagnez-vous la transformation organisationnelle à l’Institut de Cardiologie de Montréal ?
En tant que coordinatrice de la transition organisationnelle IDE à l’Institut Cardiologique de Montréal, mon rôle est d’accompagner le changement et la transformation dans le cadre du projet Investir dans l’Excellence (IDE). Ce projet, sur trois ans, prévoit la construction et l’aménagement en site occupé de nouveaux locaux d’ici 2020-2021. Les secteurs stratégiques suivants sont concernés :
- L’urgence
- Les fonctions ambulatoires spécialisées en soins tertiaires et quaternaires
- Le Centre de formation en santé cardiovasculaire
- Les unités de soins critiques
- Les directions administratives
Mon rôle est de mobiliser les équipes de l’Institut pour que ce changement architectural soit un levier pour repenser les pratiques organisationnelles et les parcours cliniques. Il ne s’agit pas de transposer les anciennes organisations dans des nouveaux locaux !
Je travaille donc main dans la main avec le service de communication, le service du développement organisationnel (dont je fais partie, tous deux rattachés à la DRH) et la Direction des Ressources Techniques et Immobilières pour réussir ce projet de transformation majeur, dont la réussite impactera durablement cet établissement de pointe, ultraspécialisé en cardiologie.
J’identifie trois niveaux principaux à mon action depuis mon recrutement en janvier 2018 :
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Niveau macro : accompagnement du changement, communication, formation, stratégie
Au niveau de l’Institut dans son ensemble, je m’assure que la communication sur le projet, les échéances et les enjeux est la plus transparente possible. Il est important que tous les acteurs impliqués (professionnels, patients, etc.) soient informés des étapes des travaux et de leur impact sur leur quotidien. Et surtout, je travaille avec la responsable communication à créer des canaux de communication réguliers pendant le projet pour inspirer et mobiliser les équipes.
Je travaille également à la structuration de la gouvernance du projet, en particulier la coordination étroite de l’action de la direction des ressources techniques et immobilières et de la direction des ressources humaines. Je relais une vision systémique, qui fait le lien entre les besoins et contraintes des différents acteurs. En cela, je suis fortement soutenue par la Directrice des Ressources Humaines, à laquelle je réfère directement.
Il est impératif que les échéances soient anticipées pour que tous les interlocuteurs soient en ordre de marche pour réussir les différentes transitions. Ce travail d’anticipation est indispensable pour sortir du schéma « action – réaction ». Les différents enjeux doivent être connus et partagés en amont, être étalés dans le temps et répartis au sein des équipes pour placer les énergies au bon moment au bon endroit tout au long du projet.
Dans ce type de projet, le soutien de l’ensemble du comité exécutif et du chef du CMDP[1] (équivalent CME) est évidemment indispensable.
Nous réfléchissons aussi conjointement avec la responsable du développement organisationnel, gestion du changement et formation continue à un programme de co-développement qui permettrait de soutenir et étendre la culture de projets et d’adaptation au changement. Les cadres de santé (chefs d’unité clinique au Québec) sont souvent déjà formés aux méthodes de gestion de projet, en particulier la méthode lean (Pauline Maisani nous en parlait il y a quelques mois ici).
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Niveau méso (intermédiaire) : coaching et accompagnement du changement
Dans le cadre de ce projet, nous travaillons, dans un premier temps, à l’amélioration des quatre grands parcours cliniques directement impactés par le futur déménagement : l’urgence, les soins intensifs chirurgicaux et médicaux et le centre ambulatoire.
Mon rôle est de coacher les chefs d’unité pour créer des équipes de transition (groupes de travail représentant les différents métiers et quarts de travail sur dans l’unité). J’aide à lancer le travail, à animer les groupes, faire le suivi des productions et à communiquer auprès des équipes. Au-delà du travail (primordial) sur les plans de travaux et d’aménagement, les équipes de transition sont chargées de travailler sur les processus de soins. Des comités de pilotage impliquant le corps médical et la Direction des soins sont aussi créés.
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Niveau micro : amélioration continue, revue de processus et accompagnement du changement
Pour réussir la transformation des organisations, il est indispensable d’associer les équipes, meilleures expertes de leurs besoins et processus de travail, afin d’améliorer les pratiques dans les futurs locaux et de mobiliser tout un chacun[2]. Dans un premier temps, il s’agit de lancer dans chaque service une équipe de transformation qui sera ambassadrice du changement auprès de leurs collègues. Leur premier travail consiste à cartographier les parcours patients internes et les processus de travail associés pour identifier comment ils seront impactés par le changement et comment les améliorer. Les équipes de transition sont chargées, dans une logique Lean, d’identifier eux-mêmes les blocages et de trouver des solutions adaptées à leur réalité. Pour donner un exemple concret, l’étalement des surfaces de travail (double à triple selon les unités dans IDE) et le passage en chambres simples sont des défis majeurs qui vont transformer radicalement les modes de communication et l’organisation du travail des équipes.
Je facilite les ateliers de travail de ces équipes afin qu’ils élaborent leur plan d’actions et les soutiens dans la mise en œuvre. Je pense qu’il est primordial d’allier des actions pouvant être menées rapidement (victoires rapides ou « quick wins ») à des actions à plus long terme, pour que les équipes restent mobilisées et motivées.
Il faut aussi garder en tête que tout changement majeur de pratique ou intégration de nouveau matériel doit être implanté et testé avant le déménagement. En effet, l’expérience montre que dans les 3 à 6 mois qui suivent le changement de locaux les équipes sont mobilisées à absorber le changement d’environnement physique et il est difficile de venir s’approprier tout autre changement.
Enfin, avec l’équipe de génie biomédical, des simulations d’espaces à échelle réelle (chambres de soins critiques, salles de triage de l’urgence, aire multidisciplinaire de l’urgence, bureaux de consultations externes…) ont déjà été organisées conjointement avec les équipes concernées pour tester la configuration future des locaux et identifier au mieux les besoins et emplacements des équipements. D’autres simulations sont à prévoir au décours du projet, en particulier pour simuler les nouveaux processus de travail.
Cette démarche ne se limite pas aux services directement impactés par les travaux : l’ensemble des services supports sont potentiellement impliqués par l’augmentation capacitaire et les changements architecturaux. Magasin hôtelier, restauration, pharmacie à usage interne, tous doivent se réorganiser pour s’adapter au changement et continuer à rendre le meilleur service possible aux patients.
Le Comité des usagers et les patients sera aussi intégré à certains chantiers et tous les « micro projets » partent des trajectoires patients.
Réussir le changement est un enjeu majeur pour des systèmes complexes comme les hôpitaux. Il me semble que le parti pris québécois, qui consiste à recruter des conseillers internes pour accompagner les transitions, est très inspirant. En France, le recours aux consultants est très fréquent sur des projets de transformation, même si je connais peu d’exemple d’établissement qui ont prévu ces compétences dans leur projets COPERMO. Pour avoir joué les deux rôles, je ne peux que souligner la valeur ajoutée des conseillers internes, partie prenantes à leur établissement et en capacité d’accompagner les équipes dans la continuité.
Pour aller plus loin :
Institut de Cardiologie de Montréal
La méthode lean au Québec:
[1] Conseil des Médecins, Dentistes et Pharmaciens
[2] Inspiration du Gemba mot japonais qui signifie « là où se trouve la réalité », une des approches en Lean management. C’est un principe de subsidiarité : placer les efforts et les ressources au plus proche de celles et ceux qui sont directement concernés par l’action et qui peuvent identifier les dysfonctionnements et imaginer les solutions adaptées
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