La Fondation de l’Académie de Médecine a organisé son premier Forum International les 31 mai et 1er juin 2018 à l’UNESCO. Ce Forum appelé FAMx est la suite logique des 6 Forums bilatéraux organisés par cette fondation d’intérêt public depuis 2013. Le thème de cette édition: l’innovation inversée en santé. Julie Danysz, Chargée des relations internationales, nous explique ce projet et nous parle d’un exemple inspirant : les accompagnateurs en santé en Haïti et à Boston.
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L’innovation inversée en santé
L’objet du Forum cette année, c’est l’innovation inversée. L’innovation inversée est une notion développée par des chercheurs en sciences sociales américains (Vijay Govindarajan et Chris Trimble). Il s’agit du processus par lequel des biens ou services sont développés pour répondre aux besoins des pays émergents (par exemple des instruments médicaux à piles dans des pays où les infrastructures sont limitées) et sont ensuite reconditionnés comme des produits innovants au coût réduit pour les acheteurs occidentaux.
Accéder aux innovations développées dans les pays émergents est une opportunité majeure pour les systèmes de santé des pays « développés » qui rencontrent aujourd’hui un problème de viabilité sur le long terme, à la fois financièrement et structurellement du fait du rôle attribué aux hôpitaux. Les pays émergents construisent aujourd’hui directement une offre de soins adaptée aux besoins et technologies actuels, sans passer par les autres phases de développement. Ce changement de paradigme passe par le déploiement d’innovations simples et peu coûteuses.
Toute la réflexion du forum porte sur la possibilité de transposer les innovations élaborées dans les pays partenaires sur des thématiques comme :
- Les déserts médicaux,
- La télémédecine, du Brésil à la Lozère,
- Le changement de rôle des professionnels de santé.
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Les accompagnateurs en santé, une innovation inversée inspirante
Un modèle qui fonctionne aussi bien à Haïti…
Cela fait 25 ans que l’organisation à but non lucratif « Partners in Health » a créé des postes d’accompagnateurs en santé à Haïti. En partenariat avec le ministère de la santé haïtien, ces accompagnateurs sont implantés au cœur de la communauté et des systèmes de soins primaires.
Gregory Jerome et Louis C. Ivers, dans un article publié en 2010 dans la revue AIDS (accessible ici) expliquent que certains accompagnateurs sont spécialisés dans l’accompagnement des patients malades du SIDA ou de la tuberculose (visite des patients au quotidien, suivi de la prise des traitements et identification de leurs effets secondaires, prise de rendez-vous dans les centres de soins primaires le cas échéant et éducation thérapeutique). Ces accompagnateurs bénéficient de 3 jours de formation.
D’autres professionnels, les « agents de santé » ont des compétences supplémentaires plus généralistes et accompagnent la population locale pour des problématiques en lien avec le suivi des vaccinations, la croissance des enfants, l’allaitement ou l’hydratation. Ils bénéficient d’une formation 6 mois.
Ces professionnels sont rémunérés sur la base d’un temps partiel s’élevant généralement à 20/25h par semaine. L’étude menée par Gregory Jerome et Louis C. Ivers souligne l’importance de leur rôle de liaison entre la population et le système de santé dans des dimensions allant bien au-delà de leurs missions initiales.
Qu’à Boston :
Ce modèle des accompagnateurs de santé est un exemple très intéressant d’innovation inversée qui répond également à des problématiques rencontrées au sein des pays « développés ».
Partant du constat que la pauvreté, les compétences limitées en anglais, le chômage, l’immigration et le statut de réfugié, l’absence de domicile fixe et l’impossibilité d’accéder aux transports sont des obstacles majeurs qui empêchent certaines personnes et familles de recevoir les soins et services dont elles ont besoin, l’Etat du Massachussetts a créé un programme de « community health workers » ou agents de santé communautaires en 1965. Ces agents de santé communautaires (ASC) sont chargés de faire la liaison avec ces populations.
D’après une étude menée dans cet Etat en 2005 (à lire en cliquant ici), un ASC est ainsi un professionnel de la santé qui utilise sa compréhension unique de l’expérience, de la langue et / ou de la culture des populations qu’il dessert pour remplir au moins l’un des rôles suivants:
- Créer des liens / médiation culturelle entre les individus, les communautés et les services de santé,
- Fournir une éducation et une information culturellement appropriées sur la santé,
- S’assurer que les habitants aient accès aux services et soins dont ils ont besoin,
- Fournir des services directs, y compris des conseils informels et un soutien social,
- Plaider pour les besoins individuels et communautaires.
Un ASC se distingue des autres professionnels de la santé parce qu’il ou elle est engagé principalement pour sa compréhension des populations qu’il sert, et qu’il mène des activités de sensibilisation au moins 50% du temps dans une ou plusieurs des catégories ci-dessus.
Sans qualification pré-requise, ces ASC sont principalement des femmes, avec un niveau de turn-over important et une sécurité de l’emploi réduite du fait de la nature des financements de ces actions (subventions). Pourtant, leur plus-value est incontestable dans le cadre de la responsabilité populationnelle du Massachussetts : sans eux, de nombreux habitants n’auraient pas accès aux soins en temps voulu et recourraient au système de santé en urgence, dans un état de santé dégradé. Depuis 2009, le “Community health worker initiative of Boston” offre un cursus de formation aux ASC pour les professionnaliser et leur ouvrir des perspectives de carrière.
Pour aller plus loin :
Community health workers in health system strengthening: a qualitative evaluation from rural Haïti, Gregory Jerome et Louis C. Ivers, AIDS 2010:
Community Health Workers: Essential to Improving Health in Massachusetts :
- http://www.mass.gov/eohhs/docs/dph/com-health/com-health-workers/comm-health-workers-narrative.pdf
- https://machw.org/
- http://www.bphc.org/whatwedo/outreach-education-training/chec-community-health-education-center/Pages/CHEC-Community-Health-Education-Center.aspx
- http://chwinitiative.bostonabcd.org/
- http://www.massgeneral.org/cchi/services/treatmentprograms.aspx?id=1483
Community Health Workers: a Reverse Innovation in Health. Interview with Dr Heidi Behforouz :
L’heure de « l’Innovation Inversée » en Santé est-elle arrivée ? Denise SILBER pour www.managersante.com :
La Fondation de l’Académie de Médecine s’est concentrée, depuis sa création, sur la coopération avec les pays émergents. Des partenariats ont été tissés avec des facultés de médecine, résultant dans l’organisation de forums bilatéraux. Le premier Forum a eu lieu au Brésil en 2013. Il a été suivi de forums en Chine, en Russie, en Inde, au Mexique et au Sénégal.
Cette année, la Fondation a pris une orientation différente en invitant tous les partenaires académiques des précédents forums ainsi que des partenaires de l’Ouzbékistan et du Vietnam à Paris pour son premier forum international. Des délégations se présentent et de nombreux francophones sont inscrits.
Denise Silber
•7 ans ago
Merci Emilie, pour ce bel article consacré à l’innovation inversée ! Le “community health worker” est en effet un élément important de certains systèmes de santé. Au plaisir de vous voir à FAMxParis, j’espère, Denise Silber
Jerôme
•5 ans ago
Merci pour l’article, c’est en effet un élément qui apparaît de plus en plus manquant dans la communauté médicale. Le lien avec les patients est de plus en plus difficile à nouer, notamment dans un contexte inter-communautaire, même en métropole. Pas évident de faire de la pédagogie autour des question de santé dans ce genre de cas.