Après 12 ans dans les hôpitaux publics français, Pauline Maisani de s’expatrier au Québec où a occupé les fonctions de Directrice adjointe au CHU Montréal (CHUM), en charge de l’élaboration et du suivi du plan stratégique de 2010 à 2014 avant de revenir au siège de l’AP-HP. Rencontre avec cette professionnelle qui a réussi le rêve d’un certain nombre de directeurs d’hôpitaux français : exercer ses fonctions à l’étranger (et en revenir).
Comment votre expérience internationale s’est-elle déroulée ?
Quand nous avons décidé, mon mari et moi, d’avoir une expérience à l’international, nous avions 37 ans. Nous avions alors trois enfants. Il fallait que nous partions dans un cadre sécurisé nous assurant des revenus suffisants. J’ai mené deux actions en parallèle :
- Une demande de permis de travail « classique » car je ne pensais pas pouvoir être sponsorisée par un employeur. Cette démarche nous a coûté environ 5000 € et a pris un an. http://www.cic.gc.ca/francais/information/demandes/emploi.asp
- Une recherche d’emploi : j’aurais aimé exercer dans un environnement anglophone mais les deux propositions d’embauche que j’ai réussi à obtenir étaient dans des CHU francophones de Montréal.
La régularisation de ma situation statutaire a été un peu longue mais a fini par aboutir : la reconnaissance de ma position de détachement a fait l’objet de nombreux aller-retours avec le CNG, peu habitué à ces situations hors normes.
J’ai adoré exercer au Québec mais force a été de constater au bout de quelques années que les perspectives d’évolution étaient moins intéressantes pour moi là-bas qu’en France.
Mon retour n’a pas été simple, mais pas plus que tous les retours de détachement. En sortant du système, on perd la connaissance des postes qui se libèrent, on est moins « en vue » des recruteurs et on a donc moins de choix. Mais j’ai eu la chance de me voir proposer le poste de Cheffe du département qualité et gestion des risques que j’occupe actuellement à l’AP-HP.
Je pense que cette parenthèse canadienne a pu être pénalisante dans le déroulé de ma carrière car les acteurs hospitaliers français ne valorisent pas particulièrement cette ouverture internationale, contrairement à d’autres milieux. Je ne la regrette pour autant pas une seconde car elle a enrichi considérablement mes compétences et m’a ouvert des perspectives professionnelles qui ont profondément renouvelé mes pratiques managériales.
Quels exemples inspirants avez-vous ramenés de votre expérience au Québec ?
-
La culture managériale et de gestion de projet
En arrivant au Québec, j’ai été particulièrement impressionnée par la culture managériale au sein du CHUM. En termes de gestion d’équipe, le management m’a semblé plus participatif et fondé sur la reconnaissance des compétences de chacun des membres de l’équipe. Concernant la gestion de projet, le pragmatisme des acteurs m’a impressionné. Priorisation et séquençage, attribution de moyens adaptés et évaluation étaient clairement organisés.
En France, j’ai parfois le sentiment qu’on mène nos projets à l’économie. Les équipes sont sous pression et finissent parfois par mener les projets vaille que vaille, sans vraiment prendre le temps d’évaluer leur action. Au CHUM, établissement de 10 000 agents environs, mon équipe était dédiée à l’accompagnement des projets prévus par le plan stratégique. Elle comportait 4 personnes, aux profils variés et complémentaires (d’un ingénieur en organisation à une infirmière).
-
L’« empowerment » des patients
L’idée d’« empowerment » des patients (ou parfois autonomisation au Québec) est un concept à la mode mais qui trouve tout son sens dans le fonctionnement des établissements de santé au Canada. J’ai vraiment été impressionnée par la place laissée aux patients, à la fois dans le fonctionnement quotidien de l’établissement (le CHUM a plusieurs centaines de bénévoles), dans leur gouvernance (via des comités des usagers notamment) et dans les prises en soins (l’éducation thérapeutique est très développée ainsi que la prévention).
La mobilisation des patients est particulièrement impressionnante dans la démarche qualité. Ces derniers sont sollicités pour améliorer l’organisation des services et participent même à la formation des professionnels. Des fiches de poste ont été élaborées pour préciser leur rôle et leurs responsabilités. L’implication des patients est facilitée par le pragmatisme lié à leur défraiement voire leur rémunération en fonction de l’activité menée.
-
Le partenariat avec l’industrie et le tissu civil
En arrivant au Québec, j’ai été surprise par le naturel des relations entre le CHU et le tissu civil qui l’entoure. Ces relations, bien encadrées par un cadre déontologique, sont décomplexées et reposent sur des intérêts convergents. J’ai en tête un projet mené avec une entreprise biomédicale qui voulait un retour utilisateur sur un de leurs équipements. En échange du don de l’appareil au CHUM, les équipes ont participé à l’étude menée par le fabriquant.
Le partenariat avec le tissu civil repose en particulier sur l’action de la Fondation du CHUM. La réussite du projet d’établissement dont j’avais la charge reposait sur la mise en œuvre d’une banque d’actions stratégiques. Pour chacune, mon équipe devait identifier un mode de financement, soit sur les fonds propres de l’établissement, soit par le biais d’une levée de fonds. L’équipe de la fondation avait une liste de donateurs potentiels et notre objectif était de faire coïncider leurs objectifs (défiscalisation, image de marque, charité) avec nos besoins.
Les compétences des membres de l’équipe de la fondation étaient très spécialisées, et les stratégies étaient différentes s’agissant des petits donateurs, des entreprises, des grandes familles, du grand public ou du personnel.
Ces trois exemples m’inspirent au quotidien dans ma pratique en tant que Cheffe du département qualité et gestion des risques de l’AP-HP. Mon expérience à l’étranger m’apporte au quotidien un dynamisme et une ouverture d’esprit renouvelés. Je recommande à tous ceux qui en ont l’envie de se lancer : ils ne regretteront pas leur expérience internationale !
de bort clara
•7 ans ago
Passionnante cette interview, c’est vrai que nous avons tant à apprendre de nos amis québécois (et des autres !) Management et place des patients, des perspectives si inspirantes… Vivement chez nous !