La loi réformant le système de santé américain, surnommée Obamacare car portée par le Président Obama en 2010, fait l’objet de vives critiques, tant de la part des Républicains que des Démocrates. « Socialiste » pour les uns, pas assez protectrice pour les autres, cette réforme est un compromis législatif. Son enseignement principal pour le système de santé français est le foisonnement d’expérimentations visant à moderniser l’offre de soins (modes de financement, parcours intégrés…).
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Réformer le système de santé américain, le cauchemar des présidents américains
La loi « Protection des Patients et Accès aux Soins » (Patient Protection and Affordable Care Act ou ACA en anglais) n’est pas connue sous le nom d’Obamacare pour rien. C’est une des réformes phares des présidences Obama. Portant sur un sujet complexe s’il en est, cette réforme du système d’assurance santé américain est la seule réforme ambitieuse du système de santé américain qui ait abouti depuis 1965, après un échec cinglant de Bill Clinton en 1993.
Ce résultat n’a pas été atteint sans difficultés. L’organisation et le financement du système de santé sont des sujets particulièrement polémiques aux Etats-Unis, comme je l’ai expliqué dans mon article « Pourquoi les américains détestent l’assurance maladie universelle ». Barack Obama a consacré beaucoup d’énergie à son adoption et son déploiement, en témoigne cette vidéo promotionnelle où le Président joue de son image pour inciter les citoyens américains à adhérer à une couverture santé via la nouvelle loi.
Tout au long des deux mandats de Barack Obama, les élus Républicains, majoritaires au Sénat, ont essayé d’entraver la mise en œuvre de cette loi. Via des recours devant la Cours Suprême, ou au niveau des Etats fédérés, les tentatives d’obstruction ont été nombreuses et très violentes. Le nouveau Président des Etats-Unis voue aux gémonies cette réforme qui, selon lui, « détruit le pays ».
La loi Obamacare ne fait pas non plus l’unanimité chez les plus progressistes. Le Professeur Victor Rodwin, de l’Université de New York souligne, dans un article publié à l’été 2015 dans Les Tribunes de la Santé, les avancées à la loi mais critique également son aspect inabouti, en particulier en ce qui concerne la couverture maladie, bien loin de la protection offerte par une assurance maladie universelle.
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Des avancées sociales notoires mais qui ne réussissent pas complètement à assurer une sécurité sociale
La réforme Obamacare ne prévoit pas la création d’une assurance maladie universelle. Comme l’explique le Professeur Rodwin, « le fond de la réforme [est] d’inspiration républicaine – étendre la part de marché des assurances privées, favoriser le choix des consommateurs de soins entre des assurances concurrentes offrant, sur un marché régulé, des niveaux de restes à charge variables ». Les règles de fonctionnement demeurent inchangées et les assurances publiques (Medicare, CHIPS et Medicaid) ne couvrent toujours que les enfants et les personnes les plus démunies, handicapées ou âgées.
Une extension réussie de la couverture assurantielle
La mesure phare de la réforme, qui étend la couverture maladie, constitue une avancée sociale majeure. La situation était particulièrement préoccupante en 2010, avec presque 20% des adultes âgés de 19 à 64 ans sans assurance santé.
La loi Obamacare améliore nettement cette situation puisque, depuis 2010 et selon les données du gouvernement américain, près de 20 millions de personnes qui n’étaient pas couvertes ont souscrit à une assurance maladie.
Cette amélioration a été possible grâce à l’activation de plusieurs leviers, explicités par Blumenthal and al. dans un article publié dans le New England Journal of Medicine en juin 2015 et réalisant un bilan de la loi cinq ans après son adoption (http://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMhpr1503614#t=article) :
- L’ouverture d’un accès aux assurances privées grâce à la mise en place de marchés régulés de crédit d’impôts.
- L’extension du champ de l’assurance Medicaid aux adultes dont les revenus sont inférieurs ou égaux à 138% du seuil de pauvreté défini au niveau fédéral.
- L’obligation pour les assureurs de couvrir les enfants de leurs assurés âgés de moins de 26 ans, qu’ils soient à leur charge ou non.
- L’interdiction pour les assureurs d’accepter de nouveaux assurés ayant une condition médicale préexistante ou d’interrompre leur assurance quand ils développent une pathologie.
- La création d’une pénalité financière pour les personnes qui ne souscrivent pas à une assurance santé malgré des revenus suffisants.
La fondation Kaiser Family synthétise ces avancées dans une vidéo ludique visible ici
Des avancées controversées de tout bord
La controverse sur la loi provient principalement du mode de financement de ces mesures, principalement fondé sur des taxes et des impôts, et sur la contrainte imposée aux individus et aux assurances, jugée intrusive.
Quant aux progressistes, ils se réjouissent de la réduction du nombre d’Américains sans aucune assurance santé mais déplorent que le niveau des prestations offertes par ces assurances reste loin des standards européens.
En effet, la loi définit le « panier de soins » minimum que doivent couvrir toutes les assurances maladie (soins urgents, ambulatoires, hospitalisations, maternité, médicaments et examens de laboratoire…) mais des prestations sont omises (soins dentaires, vision) et les restes à charge ne sont pas régulés, et amènent un nombre important d’Américains à la banqueroute tous les ans, comme je le disais dans mon article sur le coût des soins aux Etats-Unis.
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Une réforme ambitieuse de l’organisation de l’offre de soins
Les éléments de la loi Obamacare portant sur la réforme des assurances sont les plus médiatisés. Pourtant, quand Blumenthal et ses collègues disent qu’il « s’agit de l’effort le plus agressif de l’histoire de la nation pour résoudre les problèmes du système de santé », ils parlent de la réforme de l’organisation du système de santé Américain.
Le parti pris du législateur américain a été de ne pas choisir a priori l’orientation de la réforme du système de santé, mais plutôt d’encourager les acteurs à expérimenter diverses options, dont l’efficience médico-économique est ensuite évaluée avant d’être généralisée le cas échéant. Cette méthode convient bien au système de santé américain, fragmenté et attaché à son autonomie. Elle présente l’inconvénient d’être peu lisible et de rendre difficile à anticiper les évolutions à moyen terme du système de santé.
David Blumenthal et al. identifient deux grandes catégories d’action :
Les évolutions des modes de financement :
Il s’agit ici de sortir de la tarification à l’activité et d’aller vers un financement de la performance. Une des actions qui a été généralisée en octobre 2012 est la création d’une pénalité financière pour les hôpitaux qui ont un taux de réadmission à 30 jours supérieur à une cible définie par Medicare.
Le paiement à la performance se déploie via un intéressement créé par Medicare, qui, en 2017, redistribuera 2% de ses recettes aux établissements ayant atteint leurs cibles qualitatives et financières.
Enfin, le paiement au « panier de soins » est expérimenté par presque 7000 hôpitaux et groupes de santé. Ce mode de financement attribue un paiement unique pour l’ensemble des soins liés à une prise en charge, comme par exemple une prothèse de hanche, charge aux acteurs de redistribuer les fonds entre eux.
Les changements dans l’organisation de l’offre de soins :
La réforme Obamacare invite les acteurs du système de santé à coopérer dans ce qui est appelé des organisations de soins responsables (accountable care organizations ou ACOs). Ces structures visent à renforcer l’intégration et la coordination des parcours des patients, de l’ambulatoire aux soins de suite. Elles prennent la responsabilité de l’ensemble des coûts et de la qualité des soins d’une population d’assurés de Medicare, et se partagent une partie des éventuels gains d’efficience produits (voire des pertes financières pour les ACOs « pionniers »).
Il s’agit ici d’une démarche pragmatique : l’objectif d’intégration et de qualité est fixé par la loi et par Medicare via des cibles chiffrées et suivies mensuellement, mais les modalités concrètes de mise en œuvre sont laissées au libre-arbitre des acteurs. Ce modèle a connu un fort succès : fin 2014, il y avait déjà plus de 400 ACOs, desservant plus de 7 millions de bénéficiaires de Medicare.
La clef de voute de la réforme Obamacare est le centre de l’innovation de Medicare et Medicaid. Ce centre impulse, finance et évalue un ensemble d’actions qui structureront le système de santé américain de demain. Je consacrerai plusieurs articles à la démarche de soutien à l’innovation de l’offre de soins aux Etats-Unis.
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