La généralisation des dossiers patients informatisés a fait l’objet d’une stratégie volontariste de la part de l’Etat fédéral américain depuis le début des années 2010. A l’occasion de la Paris Healthcare Week, découvrons les trois leçons fondamentales à découvrir de l’expérience américaine :
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Une coordination de la montée en charge par l’Etat est nécessaire.
L’administration Obama a lancé, en mars 2009, un plan national visant à créer les bases d’une technologie d’information en santé homogène à l’échelle nationale, sécurisée et partagée entre tous les acteurs du système de santé. Ce plan visait donc la généralisation de l’utilisation des dossiers patients informatisés par près de 700 000 médecins et 5 000 hôpitaux d’ici 2016, avec un investissement de départ s’élevant à 30 milliards de dollars.
Cette stratégie a été mise en œuvre par le Centre de gestion des assurances publiques américaines (CMS – Center for Medicare et Medicaid) via un système d’incitations financières qui invitait les opérateurs de santé à faire évoluer leur système d’information pour répondre à des critères fonctionnels de plus en plus contraignants : capacité à recueillir l’activité médico-soignante, interface patient, interopérabilité… Ces incitations financières, pouvant s’élever jusqu’à plus de 63 000 dollars, étaient versées aux établissements (hôpitaux, cabinets médicaux…) qui s’engageaient dans la démarche (avec des amendes prévues à terme pour les structures ne souhaitant pas participer).
A l’issue du calendrier initialement établi, le bilan est mitigé. En effet, très peu d’acteurs ont réussi à atteindre la phase finale visée par CMS. Une des difficultés rencontrée est notamment l’incapacité des concepteurs de logiciels à produire des systèmes d’information conformes aux exigences du plan, en particulier en termes d’interopérabilité. Les acteurs du système de santé, en particulier les médecins, se plaignent du coup financier et organisationnel de cette politique.
Cette stratégie de bascule vers les dossiers patients informatisés, volontairement contraignante et menée au pas de charge, détone dans un paysage américain où la liberté acteurs du système de santé prédomine. David Blumenthal, un des médecins à l’origine de ce plan pluriannuel, assume cette dimension, en soulignant que, sans ce cadre ferme, le système de santé américain n’aurait pas pu basculer du tout papier à un système digital en quelques années seulement.
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Le bouleversement induit des pratiques médico-soignantes doit être pris en compte.
Dans un article pour The Atlantic publié en avril 2014, David Blumenthal explique que « les bénéfices de la généralisation des dossiers patients informatisés sont incontestables et substantiels du point de vue des patients. Mais, du point de vu des soignants, les coûts de leur mise en place et de leur utilisation sont élevés tant d’un point de vue financier que fonctionnel. »
Il insiste sur la dimension disruptive du déploiement d’un tel système d’information : « en changeant la manière dont l’information est collectée et utilisée en médecine, on change totalement la manière de travailler ». Le cœur de métier des soignants se transforme, pour le mieux dans les géants de la santé comme Geisinger ou Kaiser Permanente, qui ont réussi à mobiliser leurs vastes ressources pour créer des systèmes puissants et efficients de recueil, analyse et échange des données cliniques.
Pour les établissements plus petits, hôpitaux ou cabinets médicaux, les difficultés liées à la saisie des données et au ras-le-bol des professionnels de santé est prégnant. L’American Medical Association (AMA) a identifié, dans une étude menée en 2014, que la généralisation des dossiers patients informatisés constituait une source majeure de burnout médical du fait du stress engendré par des systèmes d’information peu performants et ressentis comme dégradant leur relations aux patients.
L’ergonomie et la facilité d’utilisation des solutions informatiques retenues doivent donc être un sujet de préoccupation majeure dans le déploiement des dossiers informatisés. Des perspectives positives sont ouvertes par les évolutions des technologies comme la reconnaissance vocale ou les dossiers patients accessibles sur mobiles ou tablettes, qui réduisent les contraintes d’un médecin coincé derrière son ordinateur. Les données générées directement par les patients via des applications seront bientôt accessibles aux praticiens et faciliteront la prise de décision en temps réel. L’intelligence articifielle appliquée au « big data » permettra l’analyse en temps réel des données cliniques et leur transformation en informations facilitant le diagnostic médical.
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L’enjeu financier des dossiers patients informatisés ne doit pas être sous-estimé.
Le gouvernement américain prévoyait un important retour sur investissement suite à la généralisation des dossiers patients informatisés au sein du système de santé. Ce ROI est plus difficile que prévu à concrétiser, pour plusieurs raisons. La première est liée au montant des investissements informatiques réalisés, qui pèsent lourdement sur les plus petites structures. La seconde est liée à la nature même des économies attendues.
En effet, le système de dossiers “papier” était coûteux car il imposait de faire fonctionner une chaine complexe de facturation, de la saisie de l’activité clinique par les assistantes médico-administratives aux services de facturation. Ce processus comportait de nombreux risques : erreurs dans les informations, perte de documents, etc. Une des économies attendues du déploiement des systèmes de dossier patient informatisé était lié à la fluidification de ces circuits administratifs.
Mais, dans nombre d’hôpitaux, ces nouveaux systèmes d’information ont au contraire augmenté la bureaucratisation. En effet, déployer un dossier patient informatisé ne concerne pas que les soignants. Il est indispensable que les liens fonctionnels du logiciel avec le système de tarification à l’activité et avec la facturation soient très clairs. Pour que la transformation soit efficiente financièrement, il faut que l’organisation soit prête à engager une vraie révolution culturelle : faire converger les activités cliniques, le processus de facturation et le système d’information. C’est un vrai projet managérial et stratégique.
C’est n’est qu’une fois les processus et responsabilités clarifiés en interne, et l’interopérabilité assurée (entre les logiciels internes, avec les financeurs, avec les partenaires) que les gains se concrétisent, tant d’un point de vue fonctionnel que financier. Une étude de 2009 menée par le Medical Group Management Association évaluait à 50 000 dollars par an l’augmentation des revenus des cabinets médicaux ayant adopté un système de dossier patient informatisé.
En conclusion, l’exemple américain frappe par son pragmatisme. Face à une généralisation des dossiers patients informatisés jugée inévitable, un effort majeur a été décidé au niveau national, pour offrir au pays une infrastructure permettant de faire face aux attentes des patients et aux évolutions technologiques à venir. A la France de mener cette révolution, en prenant garde à protéger ses professionnels de santé qui seront en première ligne dans cette transformation fondamentale.
Article écrit pour SIH Solutions.
Sources :
- “Blumenthal: Finding the ROI in EHRs is still tough work”, Jennifer Bresnick, March 24, 2014 – HER intelligence
- “ROI vs. EHR Implementation Costs — Is It Really Worth It?”, Alok Prasad, October 20, 2013 – Medcity News
- “Finding the hidden ROI in EHR implementation”, Jeff Goldsmith and Erick McKesson, July 15, 2016 – Modern Healthcare
- “Meaningful Use of Electronic Health Records : The Road Ahead”, Ashish K. Jha, 2010 – Journal of the American Medical Association
- “Sources of physician satisfaction and dissatisfaction and review of administrative tasks in ambulatory practice: A qualitative analysis of physician and staff interviews”, Lacey Colligan, Christine Sinsky,Lindsey Goeders, Max Schmidt-Bowman, Michael Tutty, October 2016 – American Medical Association
- “Stage 2, rubber meets the road”, Bernie Monegain, July 14, 2014 – Healthcare IT news
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