Après des années d’exercice en tant qu’infirmière puis cadre de santé, So-Yung Straga est devenue la première directrice dédiée à l’expérience patient (XP) en Belgique. Avec des collègues, elle a créé l’association européenne Shared eXperience Patient (SXP), une communauté apprenante pour partager les bonnes pratiques et retours d’expérience sur ce sujet central pour les systèmes de santé dans le monde.
Comment êtes vous devenue la première directrice de l’expérience patient de Belgique ?
J’ai commencé ma vie professionnelle il y a 25 ans, après des études d’infirmière. Ces études duraient trois ans en Belgique, avec une alternance de cours et de stages hospitaliers. Alors que je pensais plutôt m’orienter vers un exercice en libéral, je suis tombée amoureuse du bloc opératoire au cours de mon dernier stage. Pendant treize années, j’ai été infirmière instrumentiste en chirurgie cardio-vasculaire et thoracique. Dans le même temps, j’ai accompagné des équipes de prélèvement et transplantation d’organes. C’était passionnant, mais je sentais que je manquais de réflexion ; il me manquait de la « matière ». C’est là que j’ai commencé à me former en continu, en commençant par un master en santé publique. Diplôme en poche, j’ai quitté mon hôpital universitaire pour voir autre chose. J’ai eu l’opportunité de diriger un petit quartier opératoire dans une clinique située très au sud de la Belgique. Au bout de cinq années, je stagnais à nouveau, alors j’ai pris un poste de gestion d’un bloc plus important et parallèlement, je me suis formée au codéveloppement professionnel à Paris. C’est à ce moment que tout s’est accéléré… J’ai quitté le quartier opératoire pour explorer les autres parties de l’hôpital : unités de soins, consultation, revalidation, etc. J’ai aussi rempli quelques missions pour une entreprise de conseil sur le continent africain. Depuis mon premier emploi, j’ai toujours maintenu un réseau professionnel important et c’est ce réseau qui m’a mise en contact avec la clinique dans laquelle j’exerce aujourd’hui ce métier de directrice de l’expérience patient.
Comment vous y êtes vous prise pour structurer l’expérience patient dans votre établissement ?
J’ai été nommée directrice de l’expérience patient de la Clinique Saint Jean à Bruxelles en mai 2019. Apporter des améliorations ou des changements de l’expérience des patients n’est possible qu’avec la prise de conscience de l’impact de l’XP. J’occupe mon poste depuis quelques mois seulement, c’est donc encore un peu tôt pour pouvoir prétendre à une initiative « impactante ». Cependant, je suis déjà fière d’avoir organisé un département entier dédié à l’expérience patient au sein de mon institution ; mes collaborateurs gèrent leurs projets en transversalité avec tous les autres départements.
J’ai adopté une question que je pose systématiquement aux personnes qui viennent me trouver avec un problème. Lorsque ces personnes m’exposent leur projet et tous les obstacles qui les empêchent d’avancer, je réponds toujours la même chose : « Où est le patient dans ta problématique ? Pense à ton patient et reconstruis ton histoire autour de lui ». Cette perspective déculpabilise le professionnel, quel qu’il soit, et lui permet de porter son projet, en dépit des obstacles, motivé par le bénéfice qu’est l’amélioration de l’expérience patient.
Pourquoi avoir créé l’association Shared Patient eXperience ?
Je me sens privilégiée d’occuper un poste de direction dans l’XP en Belgique : il s’agit d’une première dans notre pays. En endossant ce rôle, il m’est apparu évident que je devais d’une manière ou d’une autre influencer les décideurs à considérer ce nouveau paradigme. En plus, pourquoi travailler seule dans mon coin sur un sujet concernant tant de personnes, alors que c’est justement l’occasion de rencontrer d’autres acteurs du domaine ? Ici encore, mon réseau a fonctionné ; dès que j’ai parlé de ce projet autour de moi, j’ai trouvé soutien et participation.
L’association SPX a l’ambition d’accompagner les directions et encadrement intermédiaire des institutions de soins à inclure l’expérience patient dans tous les domaines d’activité de leur organisation. Nous voulons, preuve à l’appui, convaincre ceux qui dirigent que l’XP est LA culture à adopter, non pas en urgence, mais plutôt en conscience. Plusieurs initiatives vont dans ce sens : un colloque annuel rassemblant les acteurs clé du moment, un voyage d’étude international à la découverte de bonnes pratiques sur les terrains, une formation aux outils de l’XP dispensée par plusieurs universités issues de pays variés, un Club des institutions dans lequel les organisations adhérentes développent et partagent leurs connaissances, un site web fournissant du contenu XP.
Pourquoi la dimension internationale est-elle importante dans le champ de l’XP et quels sont les acteurs inspirants du secteur ?
Dans ce contexte aussi, nous sommes chanceux. La Belgique et en particulier Bruxelles se situe au centre de l’Europe à bien des égards. Il nous est paru évident que nous devions profiter de cet avantage pour fédérer un maximum de pays autour de notre association. En effet, certains pays sont déjà bien développés dans le domaine de l’XP, mais la plupart des initiatives sont centrées sur un territoire donné. Nous voudrions les mettre en connexion, former un réseau fort qui partage l’expérience. Le patient est un usager et un voyageur qui traverse les frontières… Nous devons l’accompagner dans ce voyage également. La médecine qui soigne les patients ne s’est jamais sentie limitée par les frontières, les congrès ont toujours existé ; c’est un phénomène normal de vouloir apprendre des pratiques de son voisin.
Bien sûr que pour toute personne s’intéressant à l’XP, les acteurs inspirants sont issus de références américaines : Cleveland Clinic, Mayo Clinic, Beryl Institute sont les principaux. Mais les acteurs qui m’inspirent vraiment en ce moment sont inconnus : il s’agit des personnes que je rencontre chaque jour et qui prennent conscience de l’importance à accorder à l’amélioration de l’expérience des patients. Ceux qui s’interrogent et qui osent remettre en question leurs pratiques ; ceux qui envisagent le présent et l’avenir différemment, sans se barricader derrière des excuses de manque de temps ou de moyens.
Pour aller plus loin :
Site web de l’association Share eXperience Patient : https://spexperience.org/fr/
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