En tant que Français, attachés à notre Sécurité sociale nationale, il nous est difficile de comprendre pourquoi de nombreux citoyens américains sont contre l’assurance maladie universelle. L’histoire politique américaine témoigne pourtant de nombreuses tentatives de création d’une couverture maladie. Ces tentatives ont systématiquement et violemment été battues en brèche par les assurances privées et le parti républicain. Les enjeux sont pourtant énormes, avec plus de 15% de la population non assurée en 2010.
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L’assurance maladie universelle, l’arlésienne américaine :
Daniel Béland, dans un article consacré aux mutations de la protection sociale aux Etats-Unis publié en 2009 dans le revue Hérodote, rappelle les étapes du débat américain :
- Années 1910 : le sujet de l’assurance maladie est abordé pour la première fois par les réformateurs de l’American Association for Labor Legislation sous la présidence de Woodrow Wilson. La réforme échoue du fait de la fragmentation de l’Etat fédéral et de l’opposition farouche des médecins et des milieux d’affaire.
- Années 1930 : le New Deal, via le Social Security Act, se concentre sur les sujets d’actualité : assurance chômage et vieillesse. Franklin D. Roosevelt préfère exclure le sujet de l’assurance maladie, dont l’aspect polémique aurait risqué de faire échouer l’ensemble de son projet de loi.
- Années 1950 : la puissante Association médicale américaine (AMA) et les assureurs privés font échouer les tentatives de création d’un régime fédéral d’assurance maladie.
- 1965 : les démocrates, après leur succès aux élections présidentielles, créent un régime fédéral d’assurance maladie pour les personnes âgées de plus de 65 ans (medicare) et pour les plus démunis (medicaid).
- Années 1970/80/90 : toutes les tentatives échouent, en particulier l’ambitieuse réforme portée par Bill Clinton en 1993, qui portait un projet complexe de couverture maladie universelle.
- 2012 : La loi Obamacare (Accountable Care Act) est votée. Il ne s’agit désormais plus de créer une couverture maladie universelle mais d’élargir le nombre d’assurés des assurances publiques et de réglementer le contenu minimum des assurances privées.
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Les raisons de la colère :
Ces échecs successifs et la violence du débat politique sur la réforme de l’assurance maladie, système qui fonctionne depuis de nombreuse décennies en Europe, trouvent leur source au cœur même de l’identité américaine.
Daniel Béland explique que l’assurance maladie universelle représente, pour beaucoup d’Américains et en particulier pour le parti républicain, une forme de « socialisme » incompatible avec la liberté individuelle et l’économie de marché.
La liberté individuelle est fondamentale dans l’idéologie des Etats-Unis. Le rôle de l’Etat doit être limité pour éviter toute intrusion. Dans cette perspective, l’obligation d’adhérer à assurance maladie est une atteinte grave à la liberté. Les républicains décrivent ainsi la réforme Obamacare comme une violation de la Constitution des Etats-Unis ! Lors du 3ème débat de l’élection présidentielle le 19 octobre 2016, Donald Trump déclarait ainsi : « [La réforme Obamacare] détruit notre pays. Elle détruit nos entreprises. »
La défiance envers l’administration est le corolaire de la liberté individuelle. Les citoyens américains rechignent à confier leur santé à une bureaucratie inefficace, qui s’immiscera dans tous les aspects de leur vie quotidienne. La rigidité d’un système de santé administré inquiète, tant en matière de liberté de choix pour les patients que de régulation de l’offre (ayant un impact sur les médecins).
La relation aux taxes et impôts est complexe, et l’idée d’augmenter les taxes pour financer l’assurance maladie de l’ensemble des concitoyens est critiquée. La responsabilité individuelle prévaut et amène un jugement moral : pourquoi devrais-je payer plus de taxes pour ces personnes qui se retrouvent en difficulté du fait d’un comportement est à risque (sexualité, obésité, tabagisme…) ?
Enfin, la croyance inébranlable en la libre concurrence scelle le destin de l’assurance maladie universelle. Les assurances privées, motivées par le profit et la concurrence, sont considérées comme le meilleur moyen de contrôler les coûts et de garantir l’efficience du système.
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La situation du système de santé américain est pourtant fortement dégradée :
Selon les statistiques publiées par l’OCDE en 2014, les dépenses de santé des Etats-Unis représentaient, en 2012, 16,9% de leur produit intérieur brut, contre 9,3% pour la moyenne des pays de l’OCDE (et 11,6% en France). En 2014, selon le Centre national de contrôle et de prévention des maladie (center for disease control and prevention (CDC), les dépenses de santé représentaient 3.0 trillons de dollars, soit $9 523 par habitant.
Le financement public représentait 48% des dépenses de santé, contre 72% pour les autres pays de l’OCDE. Les 52% restant sont financés par les assurances privées, les employeurs et par les patients eux-mêmes.
En 2012, plus d’une famille américaine sur cinq rencontrait des difficultés financières du fait de leurs dépenses médicales. Une famille sur dix n’était pas en capacité de payer lesdites factures et une famille sur cinq avait dû solliciter un échelonnement de ses remboursements. En 2009, une étude publiée par Himmelstein et al dans The American Journal of Medicine révélait que 62,1% de toutes les banqueroutes avaient une cause médicale, en particulier du fait d’un reste à charge s’élevant en moyenne à $17,943.
Si les difficultés persistent, cette situation s’est améliorée grâce à l’extension de la couverture santé de la population américaine avec Obamacare. La fondation d’intérêt public « Kaiser Family » estimait ainsi en octobre 2016 à 27 millions le nombre d’Américains non-assurés. Ce nombre a diminué de 13 millions depuis 2013.
Selon l’American Journal of Medicine, les Etats-Unis sont un des pays du monde où tomber malade coûte le plus cher. Cela n’empêche pas un nombre important d’américains d’être opposés à l’assurance maladie universelle.
Vaussy
•8 ans ago
Intéressant
Ce serait bien d’avoir l’avis des américains sur notre système francais de financement de la santé…
Sinon ceux qui l’ont expérimenté disent en effet qu’il vaut mieux ne pas tomber malade aux EU..
Aurélie
•8 ans ago
Et il me semble par ailleurs, que les résultats de santé publique obtenus sont très en deça de ce que l’on pourrait attendre au vu des sommes dépensées, montrant une efficacité tout à fait médiocre du système… mais je n’ai pas (plus) de références en têtes… Un nouveau thème pour Emilie !